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Photomobile #04

CAN’T TAKE MY EYES OFF YOU MILENA / HERVÉ DEZ ET PABLO FERNANDEZ

30.10 > 12.11.2021 Galerie Hautaise / Hauteville-sur-Mer

Vernissage le 30.10.2021 à 18h30

10 Avenue de l’Aumesle

Ouvert au public du jeudi au samedi de 14h à 18h, Le dimanche de 10h à 17h



Quel récit collectif à partir des documents photographiques : ex-Yougoslavie, un parcours en 3 chapitres.


Il y a 30 ans, à l’été 1991, débutait la guerre en Croatie. L’éclatement de la Yougoslavie se termine en 1999 avec l’intervention des forces de l’OTAN au Kosovo, puis la chute du régime de Milosevic l’année suivante.

Que reste t-il dans nos mémoires et dans les archives du surgissement de l’événement ?


Dans le fonctionnement des sociétés contemporaines, la guerre, son imaginaire et les médias sont devenus tributaires les uns des autres. Survenant juste après l’affaire de Timisoara puis la guerre du Golfe et sa propagande organisée en pool, la médiatisation des conflits yougoslaves (1991-1999) est un marqueur à la fois de cette triple dépendance et d’un changement de régime de représentation.

En 1990 Adobe lance son premier Photoshop (1.0), Kodak son premier appareil numérique professionnel. En 1992, Microsoft popularise le PC avec la sortie de Window 3.11.

Le tournant des années 80/90 est à la fois l’apogée et le début de la chute de deux modes de production d’information érigés en paradigme, le photojournalisme et le journal télévisé. De manière parallèle, ces 2 systèmes vont subir au même moment une « crise de vérité » et être sujets à un changement stratégique de l’industrie des média avec la mise en avant du « people ». Adjuvant de ce bouleversement, « le terrain » des conflits Yougoslaves va jouer un rôle dans l’évolution esthétique et conceptuelle de la représentation de l’événement qu’est la guerre.

Il ne s’agissait ni d’une guerre inter-étatique ni d’une guerre civile sociale. Les « guerres yougoslaves » ont été présentées dans les JT comme des guerres de civils contre des civils, de villages et de ville assiégées, des guerres de miliciens et de réfugiés, des guerres de voisins et de cousins séparés. Cette particularité des conflits Yougoslaves va favoriser l’émergence dans l’événement de l’ordinaire et de l’humanitaire en place du champ de bataille et des ballets diplomatiques.

La guerre civile qui oppose en 1991 les Serbes de Croatie aux Croates (et autres) est à la fois emblématique et singulière de cette approche médiatique. Jean-Claude Soulage décrit cette période dans le discours informatif télévisuel, comme étant celle d’une scénarisation de type « point de vue synoptique », « une position de surplomb par rapport à l’événement » qui offre une vision distanciée. « Les acteurs et les actions sont l’objet de dénominations et de qualifications interchangeables (cessation, affrontement, provocation, agression, etc.) ». C’est ce qui la différencie le plus de la période suivante qui couvre la guerre en Bosnie (1992-1994) plus personnalisée par les figures du réfugiés, de l’ humanitaire et du casque bleu à la fois au service des deux premiers et impuissant.

Cette vue générale du conflit dans le discours va renforcer par contraste l’ordinaire des images, jusqu’a la chute de Vukovar et le retour à une vision dramatique de la destruction d’une ville « martyre », point culminant du surgissement de l’événement.

En faisant une recherche sur le site de l’INA, on peut trouver 37 reportages diffusés par les journaux des télévisions publiques pour l’année 1991 (sur 641 diffusés par A2 et TF1) dont le sujet est le conflit (du 3 mai au 26 novembre). En incrustation sur les images, apparaissent des noms de lieux inconnus pour la plupart (en dehors de Yougoslavie et Dubrovnik) : Yougoslavie, Krajina, Ciljane, Kijevo, Plastovo, Banija, Struga, Okucani, Osijek, Vukovar, Dubrovnik, Petrenija, Backa Palanka, puis le nom de Vukovar revient entêtant, inquiétant, jusqu’à sa « chute », le 19 novembre 1991. Les images, tournées pour beaucoup par la Yugoslavenska Radiotelevizija, montrent des lieux ordinaires, des bourgs, des petites villes de cette « espace de marge et de pénombre » de ces Balkans inconnus « à deux heures de Paris », troublés, comme surpris, par l’apparition d’une guerre « en plein coeur de l’Europe ». De l’apparition de ces lieux sur nos écrans au surgissement de l’événement, une tension a été créer entre l’ordinaire et l’extra-ordinaire.


Plus que celle des spectateurs, la mémoire des victimes du conflit est aussi celle qui permettra peut-être un jour l’apaisement. les différents procès du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie ont permis que cette mémoire soit retranscrite.

A contrario, pour nous simples spectateurs, la lecture de ses signes accumulés qui représentent les noms des victimes des violences entre voisins bosniens dans la région de Prijedor comme ceux qui résument le procès d’un des bourreaux, semblent presque irréels, illusoires.

Que faut-il faire alors des images fixes ou animées. Existent-elles pour donner de l’émotion ou comme pièces à conviction ?


Vidéogrammes réalisés à partir des compte-rendus des procès du Tribunal international de la Haye pour les conflits Yougoslaves et les captures d’images d’un reportage sur le camp d’Omarska en Bosnie diffusé par France 3 en Aout 1992 ( Images réalisées par Y. Williams pour ITN ).


« Le 6 août (1992), deux chaines de télévision britanniques, ITN et Channel 4, ont diffusé les premiers reportages sur deux camps serbes, Trnopolje et Omarska, dont celui réalisé par le journaliste Y. Williams pour ITN, à partir duquel de nombreux quotidiens et hebdomadaires vont reproduire des images entre le 7 et le 20 août. En effet, sur un ensemble (non exhaustif) de 31 photographies publiées au cours du mois d’août 1992, on en dénombre 14 dont le crédit est attribué ou attribuable à ITN, 8 à l’AFP (Agence France Presse), 2 à Reuter, 2 à l’AP (Associated Press), 2 portent la mention DR (droits réservés) et 3 sont sans crédit. Parmi les 11 journaux sélectionnés dans le corpus, 7 ont diffusé les images d’ITN dans la période considérée : Le Parisien, Libération, France Soir, Le Nouvel Observateur, Paris Match, L’Événement du jeudi, La Vie. On peut ainsi déduire que les images d’ITN, en tant qu’images du « scoop » que constituait la première vision des camps, sont celles qui ont été le plus utilisées au sein des médias écrits français. Elles vont remplir deux fonctions principales dans la perception de l’événement : celle de preuve — elles accréditent les premiers récits de rescapés de la purification ethnique — et celle de référence à l’histoire — elles attestent définitivement la qualification de « camps de concentration ». La publication de ces images provoquera une émotion générale et des réactions à travers le monde. »

Pedon Eric, Walter Jacques. Les variations du regard sur les « camps de concentration » en Bosnie. Analyse des usages de la photographie dans un échantillon de journaux français. In: Mots, n°47, juin 1996.


De 2003 à 2012, les photographes Hervé Dez et Pablo Fernandez se rendent à Bor, ville industrielle et minière de Serbie et participent à plusieurs expositions et résidences artistiques in situ. Sous l’impulsion de Dragan Stojmenovic de la Bibliothèque Populaire de Bor, ils s’associent au projet de (re)documenter et de (re)présenter cette ville multiculturelle à ses habitants, après tant d’années d’épuisement collectif.

Plus que la guerre, pour les habitants de Bor, c’est la fin de la Yougoslavie et de la gestion du pays par le Parti Communiste Yougoslave qui marque cette époque. Les difficulté de la vie courante, la déliquescence des entreprises d’état et des coopératives en autogestion, les nationalisations, le chômage.


Can’t take my eyes of you Milena est un graffiti photographié par Pablo Fernandez en 2012 sur les murs de la ville.

Milena (Dravic) est une actrice Yougoslave qui joue le rôle de Rajka dans « l’homme n’est pas un oiseau » un film de Dusan Makavejev tourné à Bor en 1965.


Can’t take my eyes off you Milena est composée de photographies réalisées à Bor en Serbie entre 2003 et 2012, d’extraits d’un carnet de photographies annotées par les habitants en 2010, « Melankolija srece », de photographies des archives de la bibliothèque de Bor et d’une vidéo, « Mi smo Bor » (Nous sommes Bor), rassemblant les portraits des habitants réalisés en 2012.


Bor est une ville industrielle Serbe de 35 000 habitants dont la vie gravite autour de la mine de cuivre depuis 1904, date à la quelle un consortium Franco-Serbe (Banque Mirabeau et Weifert) a commencé l’exploitation du cuivre et la construction de la ville.

Depuis l’arrivée des Français en 1904 aux transitions des années 2000 en passant par les années Yougoslaves et les années de guerre, sans relâche, différents photographes ont documenté tous les moments de la vie des habitants. Les archives de la ville sont donc riches de 40 000 négatifs.

Le constat de départ, établi par la Bibliothèque Populaire de Bor sous l’impulsion de Dragan Stojmenovic, était l’absence de documentation visuelle récente. De ce constat sont nés plusieurs projets afin d’établir un nouveau contact entre les habitants et les représentations possibles de la ville après tant d’années d’épuisement collectif. Hervé Dez et Pablo Fernandez ont participé à ces projets par des expositions sur place et des résidences artistiques ( Alternative urbanization in Bor in the eyes of the other en 2009 et Bore ponekad i stalno en 2012 ).



Revenir sans cesse dans une ville en transition c’est s’interroger avec les habitants sur les mutations lentes d’une société. Qu’est-ce qui s’ajoute ? Qu’est-ce qui se retire ? Les souvenirs personnels se superposent à la mémoire collective qui elle-même se fragmente. L’accumulation des photographies joue ici son rôle perturbateur entre la mémoire et la fiction, le privé et le public, le passé et le présent. Elle permet aussi d’être un point de passage dans les échanges, les relations que les habitants entretiennent avec leur ville.

Quel récit collectif se construit à partir des documents photographiques ?


Melankolija srece (extraits d’un Carnet de photographies annoté)

Lors de son séjour à Bor en 2010, Hervé Dez n’est pas revenu seulement avec quelques tirages pour les amis. Il avais apporté avec lui un carnet pour que les habitants puissent y noter leurs mots à côté des photographies. Il a passé des soirées dans un kiosque en plastique rouge sur le bord d’une avenue. Des ouvriers tous juste rentrés de l’usine, un pianiste alcoolique, des amis, des connaissances. Tapant du poing sur le carnet en gueulant, rock yougoslave à faire péter les baffles, quelques bières dans le nez, ils se marraient entre eux d’eux-mêmes, de leurs ville, de leur usine en pointant du doigt les photographies.

Les habitants de Bor ont un truc pour affronter la peur du vide, le trou de la mine : ils chantent « hop ! un petit hop ! pour combler le trou ! » en sautant sur place.

OP ! MALA OP ! površinski kop !


Mi Smo Bor (vidéo - 3’54 ‘’)

Mi smo Bor (Nous sommes Bor) a été conçu comme une collecte de portraits des habitants de Bor en 2012 mais aussi comme une forme utopique d’appartenance à un collectif. Les prises de vue ont été réalisées en abordant des individus dans la rue ou les commerces, complétées par une série de « collectifs » (sportifs, club de motards, pompiers, personnel des hôpitaux, etc.) permettant d’établir formellement l’appartenance à la ville. Dans un soucis d’échange et de compréhension du projet de documentation de la ville, il fallait « rendre »les photographies aux habitants plutôt que les prendre. Un accord a été passé avec la Télévision locale « TV BOR » afin d’utiliser l’écran géant situé sur la place principale de la ville pour projeter chaque soir les portraits des habitants. Pour compléter ce dispositif un écran à l’entrée de la bibliothèque permettait de voir cette projection durant la journée.




Les auteurs

Depuis 2003 Hervé Dez et Pablo Fernandez travaillent ensemble à des projets sur les transitions des sociétés des pays issus de la Yougoslavie comme aux modifications des paysages ordinaires en Europe. Leurs projets sont toujours accompagnés d’expositions, de médiations et d’ateliers sur les lieux même des prises de vue.


Hervé Dez est né en 1967. Il est photographe depuis 1992. Il a étudié successivement l’Histoire, la Photographie puis les Arts Plastiques. Depuis 2004 il pratique le « retour des images » dans des projets qui allient une création photographique sur un territoire donné et des interventions qui impliquent les habitants. En 2015, son documentaire multimédia «Transkraïna » sur les nouvelle frontière de l’EX-URSS, co-réalisé avec Alexandre Billette pour Le Monde, a obtenu le prix Philippe Chaffonjon (France Inter). Son travail documentaire sur l’ex-Yougoslavie « Transition amère » a été exposé en 2005 à la Maison Européenne de la Photographie puis en 2008 à la Galerie Kamchatka (Paris ) dans le cadre du Mois Européen de la Photo.


Pablo Fernandez est né en 1968 à la Chaux-de-Fonds en Suisse. Ancien assistant de Mario Del Curto, il travaille comme photographe dans le canton de Neuchâtel depuis 1989. Il a travaillé comme pigiste pour le quotidien francophone « Le Temps » jusqu’en 2015. Son travail sur les musiciens et le monde la musique a fait l’objet de plusieurs publications de livres. Attentif à la restitution des photographies, il a mené de nombreux projets de création et d’exposition qui engagent un dialogue, un échange avec ceux qui ont participé à la démarche du photographe, comme Esplanade exposé dans ce quartier et au centre culturel ABC de la Chaux-de-Fonds.


Quel récit collectif à partir des documents photographiques ?


© Tulipe Mobile -2021

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